Collision de trams
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Dans les années 1910-1930, le voyage vers Liège en tram à vapeur était une aventure, surtout en période hivernale, car dans les voitures à banquette en bois, un poêle alimenté en boulettes dégageait plus de fumée que de chaleur. À l'occasion, le tram de voyageurs croisait à une station, un convoi de marchandises, wagons transportant betteraves sucrières, pierrailles, charbon et même troupeau de veaux de boucherie. La grosse locomotive verte, après l'arrêt de Crisnée, forçait sa vitesse dans la descente de la râperie pour parvenir, essoufflée, en haut de la grimpette vers la station d'Odeur. Heureux étaient les occupants si le convoi, après une averse de neige, réussissait toujours, entre Waroux et Alleur, à échapper au piège des congères. Un trajet non exempt de risques. Ainsi, le mercredi 19 septembre 1917, un peu avant huit heures du matin, deux trams vicinaux de cette ligne Ans-Oreye se télescopèrent à Crisnée au lieu-dit Vers Kemexhe, à courte distance de la râperie. Un convoi transportant des voyageurs liégeois descendait d'Odeur à toute vapeur vers la rue de Kemexhe avant d'aborder en face la côte vers les Croix, tandis que l'autre convoi descendant de Crisnée fonçait à toute allure pour remonter vers le moulin d'Odeur. Pour les deux chauffeurs, le fond de la vallée était masqué par les frondaisons des ormes bordant la grand-route et, lorsqu'ils s'entr'aperçurent, ils eurent beau freiner en catastrophe, siffler éperdument, le tamponnement était inévitable. Le choc frontal des deux locomotives, massives, fut effroyable et, dans les voitures enchevêtrées, disloquées, gisent les morts et hurlent les blessés ensanglantés. Un spectacle affreux pour les sauveteurs accourus d'Odeur, Kemexhe et Crisnée, aussitôt alertés par le bruit, tandis qu'arrivaient bientôt des ouvriers de la sucrerie d'Oreye. Sur place, Mère Jeanne et ses consœurs, Ursulines de l'école de Crisnée, s'affairent au secours des victimes, le curé Coopmans administre l'Extrême-onction aux blessés le plus gravement atteints, le docteur Garin, aidé par quelques volontaires, donne les premiers soins tandis que des voitures hippomobiles transportent les premières victimes vers Liège. Le Parquet descendra sur les lieux ; il ne retiendra aucune charge contre les machinistes, indemnes mais choqués, qui ont eu le réflexe de sauter en marche avant le choc fatal. La majorité des passagers, originaires de Liège, Ans et Bressoux, venaient dans les campagnes hesbignonnes, munis de sacs et de houes, glaner quelque épi de froment ou fouiller les champs à la recherche de pommes de terre oubliées. En cette troisième année de guerre, les citadins avaient faim. En plus des 75 blessés dont deux ne survécurent pas, on déplora 23 tués. L'acte de décès d'une quinzaine d'entre eux fut enregistré à l'administration communale de Crisnée par le secrétaire Tombeur et le bourgmestre Louwette et que Fernand Lahaye, étudiant en médecine vétérinaire, faisait office de témoin. Des collectes au profit des familles des victimes furent organisées un peu partout dans la région, jusque dans les salles de spectacle de Liège, qui rapportèrent la coquette somme de 20 000 francs de l'époque, des millions de francs belges d'avant l'Euro. |